Winston Churchill : lettres des tranchées

Trois lettres envoyées par Winston Churchill à son épouse depuis le front de la Somme entre le 21 et le 25 novembre 1915 sont hautement éloquentes. Mais le lecteur doit savoir au préalable à quel genre de phénomène il a affaire…
Par François Kersaudy, Historien

« Un jour, on ne se souviendra pas de moi parce que j’étais le fils de Randolph Churchill ; on se souviendra de Randolph Churchill parce qu’il était mon père. » Comme la plupart des prédictions de Winston Churchill, celle-ci s’est avérée étonnamment visionnaire. Mais c’est bien à son père Randolph, étoile montante du parti conservateur durant le dernier quart du XIXe siècle, que le jeune Winston doit sa passion pour la politique. Par contre, c’est à son lointain ancêtre John Churchill, premier duc de Marlborough, qu’il doit son amour immodéré pour le métier des armes : persuadé d’avoir hérité du génie stratégique de l’illustre capitaine-général de la reine Anne, Winston Churchill est entré au Royal Military College de Sandhurst, dont il sort sous-lieutenant de cavalerie en 1894. Au cours des six années suivantes, il se distingue par son zèle, son esprit d’initiative, son héroïsme et sa chance insolente lors de quatre campagnes militaires en Inde, au Soudan et en Afrique du sud.

Mais cet officier peu ordinaire à l’illustre patronyme se double d’un écrivain de talent, qui sait à la fois raconter le déroulement des campagnes et la part qu’il y prend, tout en commentant avec sagacité et non sans impertinence la stratégie de ses supérieurs. Dans n’importe quelle armée, tout militaire indiscipliné doublé d’un journaliste indiscret aurait été promptement embastillé, mais en tant que descendant du grand Marlborough, fils de la maîtresse du prince de Galles et habitué des actions héroïques, le lieutenant et correspondant de presse Winston Churchill est absolument intouchable. Pourtant, la solde d’un officier subalterne de Sa Majesté est dérisoire, il faut pratiquement payer pour guerroyer, et Winston Churchill, marchant sur les traces de son père, revient à sa première passion: en septembre 1900, ce jeune vétéran de vingt-six ans, fort de ses faits d’armes et de plume, est élu député conservateur d’Oldham, dans le Lancashire ; le militaire- journaliste est devenu politicien.

Churchill se lance dans la politique
Il sera aussi atypique comme député que comme militaire: sa fougue et son impertinence, servies par une éloquence peu ordinaire, réveillent les parlementaires les plus somnolents. Mais son idéalisme en fait aussi à la Chambre des communes un électron libre, qui dira lui-même : « Certains changent de convictions pour l’amour de leur parti; moi, je change de partis pour l’amour de mes convictions. » Joignant le geste à la parole, il quitte le parti conservateur en 1904 pour rejoindre le parti libéral de Lloyd George, Edward Grey et Herbert Asquith. Les libéraux ayant le vent en poupe, ils triomphent aux élections l’année suivante, et à trente-deux ans à peine, Winston Churchill entame une carrière ministérielle. En tant que ministre des Colonies, du Commerce, puis de l’Intérieur, il se fait remarquer par son zèle réformateur, son inventivité… et sa propension à se mêler des affaires de tous ses collègues. Il trouve également le temps d’écrire des articles de journaux et une longue biographie de son père, de siéger dans diverses commissions de la Chambre des communes, de disputer d’innombrables matchs de polo, d’entretenir des relations avec diverses personnalités étrangères allant du Kaiser au président de l’Union sud-africaine, et même de rester en contact avec le monde militaire, puisqu’il est major de réserve dans le régiment territorial du Queen’s Own Oxfordshire Hussars, dont les manoeuvres s’effectuent sur les terres du château de Blenheim – la demeure ancestrale appartenant à son grand-père, le 7e duc de Marlborough…

En 1908, ce tourbillon humain trouve même le moyen de courtiser la jeune Clementine Hozier – une des rares activités pour lesquelles Winston montre très peu de dispositions ; il faudra les interventions répétées de sa mère, de sa tante et de son cousin « Sunny » pour réparer les multiples impairs de ce prétendant novice, et décider la belle Clementine à l’épouser en septembre 1908. C’est d’ailleurs grâce à cet heureux mariage que nous pouvons lire aujourd’hui leur correspondance, et notamment les lettres envoyées de France pendant la Grande Guerre. […]

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