Alexandre-Louis Andrault, comte de Langeron (1768-1831) est, avec le duc de Richelieu, le Français le plus célèbre passé au service de l’Empereur Alexandre Ier. Illustre en Russie – son portrait figure parmi les trois cent trente-deux portraits d’amiraux et de généraux qui ornent la galerie de la Guerre patriotique de 1812 au palais d’Hiver – Langeron est méconnu en France et peu apprécié. Pierre Larousse dans son Grand dictionnaire universel le qualifie même d’ «indigne personnage» qui a passé sa vie à livrer des batailles contre ses compatriotes.
Par Jean-Joël Brégeon, historien
Traître à la France jusqu’à avoir le « triste courage » de prendre Paris d’assaut, les 30 et 31 mars 1814 : un point de vue qui pèche par anachronisme et plus encore par méconnaissance de la vie cosmopolite dans l’Europe des Lumières. Les Français présents dans l’Empire russe ont été nombreux. Quelques-uns illustres comme Denis Diderot qui d’ailleurs n’y resta qu’un semestre en 1773 et beaucoup d’autres, moins connus et même ignorés. Le cours pris par la Révolution amena un flux d’émigrés. Surtout lorsque le comte de Provence, proclamé Louis XVIII, s’établit à Mitau en Lettonie de 1798 à 1801 puis à nouveau de 1805 à 1807. Après le départ du prétendant « invité » à quitter la Russie, un certain nombre d’émigrés choisissent de rester et prennent du service auprès de l’État russe, surtout dans l’armée où servent parfois des familles entières, tels les Saint-Priest, les Damas, les de Broglie, les Autichamp, les Rochechouart… De grands noms de la noblesse mais aussi des gens de talent, entrepreneurs, artisans, ingénieurs, lettrés, artistes, acteurs et actrices, et plus modestement encore des modistes, perruquiers, cuisiniers, gens de maison…
En fait, dans ce pays neuf qui s’est mis à l’école de l’Occident européen depuis Pierre le Grand, la mise en oeuvre des réformes, le développement économique, la modernisation de l’administration et de l’armée sont souvent le fait d’étrangers (Français mais aussi Allemands, Italiens, Hollandais, Anglais, Suédois) qui finissent par considérer la Russie comme leur nouvelle patrie. Ils se marient avec des Russes et font souche de descendants parfaitement intégrés. Tel est le cas de Jean-Baptiste Prévost de Sansac, marquis de Traversay (1754- 1831). Ce créole avait d’abord servi dans la marine et il s’était distingué à la bataille de Chesapeake (24 juillet 1781) durant la guerre d’Indépendance. Protégé par le ministre de Castries, il aurait pu espérer une belle carrière. Mais radicalement hostile à la Révolution, il préféra quitter la France et passa au service de la Russie. Sa promotion fut rapide car il s’illustra en Baltique avant de faire de Sébastopol un vrai port militaire doté d’un actif arsenal. Fait amiral, richement doté, Traversay est ministre de la Marine en 1811. Après 1815, il reste en Russie où ses enfants issus de deux mariages font souche. Ils sont baptisés dans la religion orthodoxe.
Une vie romanesque
Le cas de Langeron présente des similitudes avec plus d’ambiguïté malgré tout. Sa vie apparaît comme foncièrement romanesque. Langeron a des allures d’aventurier, de mercenaire aussi, mais avec de la rigueur et de la hauteur de vue dans ses commandements successifs. Naturalisé russe, il reste français jusqu’au bout des ongles. Ou plutôt, pour reprendre la formule d’un de ses familiers qui le créditait d’un certain talent littéraire : « Il y avait du caractère français jusque dans ses épigrammes.» Langeron est de souche nivernaise, d’une famille de petite noblesse attachée à la maison des Condés. Dès l’âge de quinze ans, il est dévolu à l’armée. Sous-lieutenant au régiment du Bourbonnais, il ne peut se satisfaire de la vie de garnison. En 1782, il est présenté au prince-héritier de Russie Paul qui l’invite à se rendre en Russie. Langeron décline l’offre car son régiment est envoyé en Amérique pour soutenir les Insurgents. […]
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