Eugène Tarlé l’historien napoléonien de Staline

Considéré comme l’un des grands spécialistes de Napoléon, l’historien russe Eugène Tarlé (1874-1955) a vu plusieurs de ses ouvrages traduits en français, et ce dès leur parution en Union soviétique. Au-delà de son oeuvre académique, il dut mener, par la force des choses et la volonté de Staline, une existence toujours sur le fil du rasoir, entre historien « officiel » et opposant sans cesse menacé.

par Maria Mnatsakanova, doctorante en histoire

En 1951, le professeur Tarlé, alors l’un des plus grands spécialistes d’histoire napoléonienne, enseigne l’histoire moderne et contemporaine de l’Europe à l’Institut des Relations internationales à Moscou. En se présentant à ses étudiants, il leur dit : «Mon nom n’est pas Tarlé, mais “Tar-lé”, avec un accent sur la première syllabe, et je ne suis pas Français. Je suis Juif.» L’historien court alors un grand risque : à cette époque, la campagne antisémite lancée par Staline bat son plein. Le Comité juif antifasciste a été dissous en 1948 et, en janvier 1953, le pouvoir organisera la fameuse «Affaire des Blouses Blanches», accusant des médecins (dont la plupart étaient juifs) d’avoir assassiné deux dirigeants soviétiques. Dès lors, en parlant ainsi à ses étudiants, Tarlé se montre fort imprudent. Cependant, l’académicien se sait épargné par le système répressif, comme il l’a déjà été par le passé. La menace d’être fusillé ou déporté l’a en effet accompagné presque toute sa vie.

Né le 8 novembre 1874, Tarlé est issu d’une famille marchande. Il passe son enfance à Kherson, au sud de l’Ukraine, non loin de la mer Noire et à 450 km de Kiev. Il séjourne ensuite chez sa soeur à Odessa et rencontre un historien alors très connu, spécialiste de l’histoire de Byzance : Fiodor Uspenski. Cette entrevue détermine son choix d’entrer à la faculté d’histoire. Il fréquente l’université de Kiev où il débute une carrière d’enseignant en histoire moderne et contemporaine. Il y rencontre un autre maître, le professeur Ivan Lutchitski, esprit ouvert, charmeur et érudit, qui exerce sur lui une influence décisive. C’est sous sa direction qu’il soutient son mémoire consacré aux idées politiques et philosophiques de Thomas Moore, chancelier anglais de l’époque de Renaissance. Sur le plan personnel, Tarlé se convertit à la religion orthodoxe pour pouvoir épouser celle qu’il aime (ils vivront ensemble pendant soixante ans). En même temps, le jeune historien s’engage dans la vie politique du pays. La fin du siècle est une époque très riche, dans une Russie qui oscille sans cesse entre tradition et modernité. Il assiste à des réunions d’intellectuels progressistes mais cette activité attire l’attention de la police : en 1900, il est arrêté, exilé à Kherson et interdit d’enseignement.

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