Les soldats irrédentistes: traitres à l’Autriche ou héros en Italie ?

L’historiographie italienne appelait parfois la Grande Guerre « IVe guerre d’indépendance ». Il est vrai qu’au début du siècle dernier, notamment pour certains citoyens autrichiens de langue italienne, les valeurs du Risorgimento étaient toujours d’une extrême actualité. Souhaitant que leur région soit rattachée au Royaume d’Italie, cohérents avec leur idéal, 2000 d’entre eux s’engagèrent dans les rangs du Regio Esercito, s’exposant ainsi à un double risque: celui d’être tués au combat ou d’être condamnés à mort pour trahison en cas de capture.
Par Julien Sapori, Historien

Les trois guerres du Risorgimento de 1848, 1859 et 1866 avaient opposé les armées Italiennes à l’Empire autrichien et donné finalement naissance au Royaume d’Italie. Mais après l’annexion de la Vénétie en 1866, il reste encore dans l’Empire austro-hongrois des lambeaux de territoires peuplés d’Italiens. Ils se répartissent en deux ensembles séparés : le Tyrol du sud, appelé par les Italiens Trentino, une région montagneuse regroupée autour de sa capitale, Trento, et plus à l’est, sur les rives de l’Adriatique, la ville de Trieste avec, à côté, la presqu’île de l’Istrie. Le port de Fiume est aussi peuplé en majorité d’Italiens, tandis qu’en Dalmatie la langue de Dante n’est plus parlée que par une minorité de la population. Selon les résultats du dernier recensement austro-hongrois de 1910, l’Empire compte à cette époque 52 800 000 habitants, dont 768 000 de langue italienne représentant à peine 1,5 % du total.

Si dans le Trentino les Italiens vivent sur un territoire homogène au plan linguistique, il n’en est pas de même pour les territoires adriatiques, où ils cohabitent avec des populations slaves dont la pression démographique est de plus en plus visible. L’inquiétude qu’elle suscite n’est pas uniquement du domaine linguistique, elle se double aussi d’une question sociale, l’italien constituant la langue de la bourgeoisie et, d’une manière générale, des populations urbanisées et lettrées, tandis que le Slovène et le Croate sont souvent parlés par les ruraux et les couches populaires qui, de plus en plus nombreuses, viennent chercher du travail dans la ville de Trieste, premier port de l’Empire.

Le gouvernement de Vienne, bien que résigné à gérer un Empire dans lequel l’extraordinaire mélange de langues fait qu’aucun groupe linguistique n’est majoritaire, se méfie des populations italophones à la loyauté douteuse et n’hésite pas à s’appuyer sur ses ressortissants slovènes et croates qui, dans leur immense majorité, restent très attachés à la monarchie des Hausbourg. Le Conseil des ministres du 12 novembre 1866 préconise clairement « la germanisation et la slavisation de ces territoires selon les circonstances, avec énergie et sans aucun regard » […]
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