Mars 1314 : le bûcher des templiers

De nos jours, l’extrémité ouest de l’île de la Cité est tout entière imprégnée de la présence du bon roi Henri. Du haut de son cheval de pierre, le Bourbon toise piétons et automobilistes franchissant le Pont-Neuf. Un peu en retrait, une double volée de marches emmène touristes et amoureux dans le square du « Vert-Galant ». Qui pourrait imaginer que ce lieu bucolique, léché par les mornes flots de la Seine, conserve la mémoire d’un événement bien éloigné du règne d’Henri IV? Une simple plaque d’acier, rivée au mur de soutènement, interpelle le curieux. Quelques lettres pour rappeler des instants tragiques: « À CET ENDROIT / JACQUES DE MOLAY / DERNIER GRAND MAÎTRE / DE L’ORDRE DU TEMPLE / A ÉTÉ BRÛLÉ LE 18 MARS 1314. »
Par Emmanuel Béringuer

Malgré la distance, l’exécution de 1314, par sa charge émotionnelle et sa violence, fait partie de ces moments d’histoire profondément ancrés dans la mémoire collective. Elle marque surtout l’épilogue symbolique d’une geste, celle de l’ordre du Temple, débutée deux siècles auparavant.

Un chevalier champenois pour bâtir le Temple

Lorsqu’il appelle en 1095 les chrétiens à délivrer Jérusalem, le pape Urbain II n’imagine pas que, quatre ans plus tard, les Francs auront réussi à s’implanter fermement en Orient. Le succès militaire de la première croisade est indéniable: Jérusalem est conquise le 15 juillet 1099, quatre principautés croisées sont créées. Mais c’est un succès limité dans le temps. Deux décennies plus tard, la situation a déjà évolué. Les chemins de la Palestine croisée sont dangereux pour les pèlerins. Aux frontières, les combattants de l’Islam commencent à se ressaisir. Côté chrétien, les effectifs sont insuffisants pour tenir durablement le pays. C’est dans ce contexte qu’en 1119, un petit seigneur champenois, Hugues de Payns, soumet une idée originale au patriarche de Jérusalem et au roi Baudouin II. Accompagné d’une poignée de guerriers, Hugues veut mettre sa lance au service du royaume tout en prêtant les voeux monastiques (pauvreté, chasteté, obéissance). Verser le sang en étant membres d’Église, telle est la volonté de ces hommes. Pour déroutante – voire diabolique! – qu’elle soit aux yeux de certains, cette proposition est pourtant validée lors du concile de Naplouse de 1120. Dirigée par Hugues de Payns, la nouvelle milice prend alors ses quartiers dans la mosquée al-Aqsa, sur l’esplanade du Temple à Jérusalem. Elle en tirera bientôt son nom : « Pauvres compagnons d’armes du Christ et du Temple de Salomon » ou « templiers ». Dernière étape, Hugues de Payns obtient la reconnaissance de son groupe comme ordre religieux par la papauté, lors du concile de Troyes de janvier 1129. Le Temple est né.

La « multinationale » templière

Doté de sa propre règle, l’ordre peut s’engager activement dans la défense des États latins. Deux éléments sont essentiels pour accomplir cette mission: des hommes – de préférence formés à la guerre – et de l’argent pour acheter armes et montures, entretenir des forteresses ou solder des mercenaires. Par commodité, c’est l’Occident qui sera mis à contribution. Dès la maîtrise d’Hugues de Payns, les premiers legs importants sont enregistrés: droits féodaux, terres, rentes, dîmes, etc. Il faut dire que l’idéal templier séduit. Hugues Ier, comte de Champagne, a par exemple rejoint les rangs du Temple dès 1125. Le Temple met en place un système administratif pour optimiser la gestion du patrimoine occidental et assurer un recrutement continu. Car l’ordre est bientôt de tous les combats de Terre sainte et y paye un prix humain très élevé. […]

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