Doreurs : subtile alchimie d’un métier magique

C’est un métier rare, au croisement de l’art et de la chimie, qui allie la précision du geste au regard expérimenté de l’artisan. Qui n’a jamais admiré un fauteuil ancien élégamment patiné ou un cadre de tableau à la dorure étincelante ? Ce métier, plus diversifié qu’on ne l’imagine souvent, c’est celui qu’a choisi Céline Blondel-Henquez, restauratrice de bois doré au sein de l’Établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles.
Par Bruno Calvès, journaliste et historien

C’est aux Petites Écuries que se trouve depuis 1986 l’atelier de dorure du château de Versailles. Cet atelier se compose de trois pièces en enfilade qui donnent sur la place d’armes du château. Sur les murs, des pots de toutes les couleurs, des outils aux formes et aux noms étranges. Ici et là, des angelots perchés sur le haut des meubles nous suivent d’un regard malicieux. Sur une table, un grand cadre aux armes de France en train de subir une cure de rajeunissement. Là, une chaise Louis XVI n’a plus que ses bois pour toute parure. Le «royaume» de Céline Blondel-Henquez lui appartient presque en propre puisqu’elle est secondée par une apprentie, tandis qu’un autre doreur travaille pour les châteaux de Trianon.

Attirée par les métiers manuels, elle a suivi un apprentissage de dorure sur bois entre 1991 et 1994 avant de passer le concours de technicien d’art qui lui a ouvert, dix-huit années durant, les portes du musée du Louvre. Après avoir réussi en 2011 le concours de chef de travaux d’art, elle a rejoint en 2012 le château de Versailles où elle occupe actuellement le poste de responsable de l’atelier de dorure. C’est là qu’elle reçoit les nombreux éléments de mobilier et de décor dont le château lui confie la restauration. Une restauration qui intervient la plupart du temps à l’occasion du départ des oeuvres pour une exposition. Quand des cadres de tableaux lui sont apportés, les toiles partent ainsi souvent en parallèle à la restauration. Il est certes possible de travailler du neuf, à l’exemple des baguettes de tentures de la chambre du Roi dont la réalisation est prévue en 2016, mais le travail consiste plus fréquemment à intervenir sur de l’ancien.

Un travail minutieux

Pour le profane, dorer un bois relève d’une opération aux frontières de l’alchimie: le dépôt d’une fine feuille d’or est l’étape la plus spectaculaire, presque magique. Mais la réalité est d’un tout autre registre, comme en témoignent les patientes phases qu’il convient de respecter à la lettre pour réaliser une dorure. On reçoit un bois qu’on dégraisse à l’alcali – on disait autrefois à l’absinthe ! –, on le rince, on attend qu’il sèche, on passe de la colle de peau de lapin pure et très chaude pour qu’elle pénètre bien le bois puis on applique une couche d’encollage de peau de lapin moins chaude avec un peu de blanc. On pose ensuite une douzaine de couches d’apprêt (le nombre de couches varie bien sûr selon le travail à effectuer) avec de la colle de peau de lapin à 40° saturée en blanc de Meudon. Si l’on est sur du bois sculpté, les douze couches de blanc ont empâté la sculpture : on « repare », c’est-à-dire qu’on répare alors la sculpture. […]

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