Élevé dans l’amour de la culture française par sa grand-mère Catherine II et dans le culte des Lumières par son précepteur suisse le républicain Frédéric-César de Laharpe, à l’aise dans la langue de Molière qu’il parle sans accent, Alexandre Ier monte sur le trône de Russie en mars 1801 à l’issue d’un complot qui, mené par des aristocrates anglophiles, a coûté la vie à son père Paul Ier. Il est alors un jeune homme doté d’une solide éducation, mais réservé, sinon timide: «J’ai toujours été embarrassé de paraitre en public» confiera-t-il bien des années plus tard; « je n’ai été qu’un accident heureux» dira-t-il en 1815, au lendemain de sa victoire sur Napoléon. Avec le temps, cette timidité s’estompera mais le tsar restera un homme aux goûts simples: il ne porte pas de bijoux, rarement une montre, se déplace dans des attelages que rien ne distingue de ceux des courtisans et son train de vie, relativement modeste, contraste avec le lustre de celui de Catherine II comme plus tard, avec celui de Napoléon. Comment cet homme qui se décrivait lui-même comme «un homme ordinaire» face au «génie militaire» napoléonien a-t-il pu jouer un rôle de tout premier plan dans la chute de l’Empereur des Français et la fin de son régime?
Par Marie-Pierre Rey, Professeur d’histoire russe et soviétique à l’université Paris I.
Pour tenter de répondre à ces questions, il faut d’abord s’intéresser à la personnalité d’Alexandre Ier telle qu’elle se forge dans son enfance et son adolescence ainsi qu’aux changements que la guerre de 1812 a suscités en lui. Vient ensuite le comportement du tsar pendant la campagne de France, en s’arrêtant sur ses objectifs et ses motivations. Enfin, il convient d’évoquer les Cents-Jours et le rôle du tsar dans la seconde abdication de Napoléon.
Portrait d’un « sphinx»
Pour nombre de ses contemporains, Alexandre Ier est resté une énigme durant toute sa vie et sa personnalité, unanimement perçue comme secrète, a suscité des jugements contrastés voire contradictoires : «Ange céleste» aux yeux de l’impératrice Elisabeth son épouse, doué d’un « esprit fin » et d’« une parfaite égalité de son humeur» pour la comtesse de Choiseul-Gouffier, il n’est qu’un «Grec du Bas Empire, faux comme un jeton» et «têtu comme une mule» pour Napoléon. Ses proches voient en lui un homme sincère; d’autres le dépeignent comme un monument de duplicité: «en politique, fin comme la tête d’une épingle ; aigu comme la lame d’un rasoir et faux comme l’écume de mer. »
Jugé inconsistant par certains, il est au contraire décrit par l’ambassadeur Caulaincourt comme un homme de caractère : «On le croit faible, on se trompe. Sans doute il peut supporter beaucoup de contrariétés et dissimuler son mécontentement, […] mais il n’ira pas au-delà du cercle qu’il s’est tracé ; celui-là est de fer et ne prêtera pas.»
Sans prétendre lever tous les mystères qui continuent de peser sur la vie et la mort d’Alexandre Ier, certaines sources disponibles, en particulier sa correspondance privée, permettent de brosser un portrait relativement cohérent de l’ennemi de Napoléon. […]
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