Bourbaki et les zouaves

Le 22 avril 1881, le gouvernement de la République place le général Bourbaki dans la 2e section de réserve. Le mois suivant, en mai 1881, “Le Figaro” organise une souscription pour lui offrir un cadeau. Il s’y oppose fermement mais, sensible à cette marque de sympathie, il propose que la somme souscrite soit versée au 1er régiment de zouaves pour être consacrée à la fondation de prix annuels et il écrit, non sans nostalgie, au journaliste, ancien lieutenant de mobiles Saint-Genest : « Parmi tous les braves soldats que j’ai commandés dans ma longue carrière militaire, je n’oublierai jamais mon héroïque 1er régiment de zouaves. Il est encore en Tunisie où je l’accompagne de mes voeux les plus ardents. J’ai successivement servi dans ce régiment comme sous-lieutenant, lieutenant, capitaine, lieutenantcolonel et colonel. C’est son incomparable vaillance à l’Alma qui m’a fait général de brigade. C’est à lui enfin que je dois la plus grande part de ce que l’on veut appeler ma gloire militaire. Entre ce régiment et moi, il y a donc comme des liens de famille étroits, indissolubles, que la mort même ne saurait rompre… »
Alexandre Gourdon, historien

Dans sa retraite, au milieu des fleurs de son jardin et de pigeons et tourterelles qu’il se plaît à nourrir, le général Bourbaki, le héros de Zaatcha, de l’Alma et d’Inkermann, le commandant de la Garde impériale, le vainqueur des Prussiens à Villersexel, ne peut détacher sa pensée de cette troupe illustre qu’il a eu l’honneur de commander.

Souvenirs d’Algérie
Comment ne pas se souvenir du jeune sous-lieutenant qui a rejoint le bataillon du commandant Cavaignac à Tlemcen en 1848, de son séjour à Blida, au 1er bataillon du 1er régiment de zouaves sous les ordres du commandant de Saint-Arnaud en 1842 ? Sans doute les souvenirs se mêlent, l’expédition dans la Mitidja, cette même année, Blidah, Milianah, Médéah, autant de lieux où le lieutenant a marché avec ses hommes, dans le sable, sous le soleil ou la pluie, la nuit, le jour, et toujours ces rires enfantins propres aux zouaves. Il se souvient de ces colonnes qui marchaient sans cesse, et les Arabes, qui déchargeaient leurs fusils et disparaissaient, insaisissables, qu’il fallait traquer, avec ruse et une bonne dose d’énergie. Il se souvient de ces attaques brutales des tribus regroupées, sortant de nulle part et laissant derrière elles morts et blessés qu’il fallait ramener sans grand espoir. Et puis il y a eu ce mois de mai 1843 : il a vu les colonels Yusuf et Moriss enlever leurs cavaliers en direction du Djebel Amour. Il a fallu charger les sacs sur les mulets et marcher, marcher pour se joindre à la fête. À 11 h, les cavaliers sont tombés comme la foudre sur la grande smala d’Abd el-Kader. Quelques tués, beaucoup de prisonniers, et un butin énorme. Mais ce n’est qu’à trois heures de l’après-midi que le capitaine Bourbaki et ses zouaves sont arrivés. Pourtant, ils ont couru au pas de gymnastique pendant trois lieues. Ils avaient fait trente lieues en trente-six heures, sans eau, sous le sirocco, n’ayant laissé derrière eux ni un homme, ni un mulet.

Une belle carrière
Et les affectations s’étaient succédées, chef de bataillon au 2e bataillon d’infanterie légère d’Afrique le 28 août 1846, puis au 6e léger le 1er septembre de la même année, enfin commandant le bataillon de tirailleurs indigènes de Constantine le 27 septembre 1847. Lieutenant-colonel au 3e d’infanterie, il avait commandé une colonne sous Pelissier dans plusieurs expéditions contre les tribus insoumises et s’y était distingué particulièrement par sa bravoure et son entrain. À la fin de la dernière expédition, le général Pelissier fit venir le lieutenant-colonel et, de son ton bourru et nasillard, lui demanda s’il avait été proposé pour l’avancement à l’inspection générale ; sur sa réponse affirmative, il lui
demanda s’il désirait être nommé colonel. Bourbaki ne répondit rien. Le général lui posa la question une seconde fois. Même silence. Alors, comme se parlant à lui-même, il dit : « J’ai besoin de vous comme colonel, parce que 1 500 zouaves et Bourbaki me font 3 000 hommes. Vous serez colonel des zouaves. » […]

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