Heureux qui comme Thierry Marx a fait de beaux voyages et s’en est retourné là où il est né : à Belleville dans le 20e arrondissement. L’ex-juré de « Top Chef » y a créé une école de cuisine pour rendre aux jeunes en difficulté ce que la vie et Ménilmontant lui ont donné… Véritable titi parisien, le chef multi-étoilé évoque un Paris des années 70 populaire et ouvrier, frondeur et rebelle. Un quartier qui lui ressemble…
Par François Viot
« Mémilmontant, mais oui madame. C’est là que j’ai laissé mon coeur… » À cinquante- deux ans, Thierrry Marx aurait pu faire sienne cette célèbre chanson de Charles Trenet. Enfant du 20e arrondissement il a grandi au «140 Ménilmontant», un numéro de rue à la sulfureuse réputation. Aujourd’hui, le chef aux deux étoiles nous reçoit à une belle adresse en plein coeur de Belleville, dans les locaux de «Cuisine mode d’emploi(s)» son école de formation de jeunes en difficulté. À deux pas de ce grand bâtiment blanc des années 70, il reste encore quelques lambeaux du vieux village annexé à Paris en 1860.
Il y a un siècle et demi, l’endroit était bucolique et le quartier de Charonne, non loin, était planté de vignes. Le (mauvais) vin coulait à flots dans des gargottes où les bourgeois venaient s’encanailler en écoutant du «beuglant» chanté par Bruant qui l’avait déclaré sa «patrie». Baudelaire dans les vapeurs d’alcool y écrivait de beaux vers : « Tes faubourgs mélancoliques, Tes hôtels garnis, Tes jardins pleins de soupirs et d’intrigues… » (Les Fleurs du Mal). Ce quartier des limonadiers et des traiteurs (selon Jacques Hillairet, Évocation du vieux Paris, Éditions de Minuit) abritait une population ouvrière qui n’hésitait pas à brandir l’étendard de la révolte. C’est ici que s’est propagé l’incendie de la Commune après avoir embrasé Montmartre en 1871. Et le mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise témoigne de la terrible répression. Plus tard, les immigrés venus de Pologne furent les premiers à résister à l’occupant nazi. « Ils bricolaient des affiches et jetaient des tracs dans les cinémas de Ménilmontant » (L’invention de Paris d’Éric Hazan, Éditions du Seuil). Le Paris de Manouchian et de son réseau de résistants étrangers était tout proche de là où nous sommes (Thierry Marx est né Passage Manouchian). L’ex-juré de « Top Chef » a fait de multiples métiers à travers le monde : parachutiste, casque bleu au Liban, manutentionnaire, convoyeur de fonds… pour revenir dans son quartier de coeur.
Son enfance à Belleville
« J’ai eu la chance de naître dans ce quartier. Il est resté intact. Mon père était en Algérie… Je vivais avec ma mère dans une petite pièce. Mes grands-parents juifs immigrés de Pologne s’étaient installés ici. Mon grand-père me disait qu’il n’avait pas eu le choix. Personne ne voulait aller dans ce quartier qui se construisait. Dans ces grands centres HLM ou HBM, je n’ai jamais souffert de différence sociale. C’est un quartier de mixité totale, qu’elle soit ethnique ou sociale. Il y a cent quatre nationalités différentes, c’est ça qui fait sa force, tout le monde accepte tout le monde. Il incite au voyage et il m’a montré qu’il n’y avait pas d’ascenseur social. C’est des blagues qu’on m’a raconté quand j’ai déménagé plus tard dans le Val-de-Marne. Il y avait pour nous un escalier social. D’ailleurs, au 140 Ménilmontant, il n’y avait pas d’ascenseur à l’époque, on montait à pied, cela donnait un sens à la vie… »
Une scolarité empirique
« J’étais un gamin difficile. Le môme Marx que j’étais a eu une scolarité empirique et il avait une tête de rêveur. Il escaladait le square du 140 Ménilmontant pour jouer la nuit dans la jungle. C’était le far-west. On faisait des conneries, j’ai des copains qui ont bien terminé, d’autres moins bien. Heureusement pour moi, il y avait le judo. Le judo et la photo à la MJC de la rue Borrego. C’était un cadre éducationnel très important. Il fallait plus de tour de bras que de tour de tête, et être autonome très vite. J’allais à l’école tout seul. À l’école Pelleport que mon grand-père considérait d’un meilleur niveau, les gens du 140 étaient catalogués, les fils de bonne famille essayaient d’être copains avec nous, ils nous renforçaient dans l’idée qu’on était des petits costauds. On s’étrillait avec la bande des Lilas ou de la porte de Bagnolet sur les fortifs où il n’y avait encore rien de construit. Enfant, c’était notre terrain de jeux. Plus tard, notre bande du 140 allait se castagner avec celle des Fortifs du Pré Saint-Gervais. Pour nous, ils n’étaient pas parisiens… » […]
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