Pendant des siècles, la statue érigée en un lieu public fut réservée à Dieu et à ses saints. À la fin du Moyen-Âge, les souverains commencèrent à s’approprier ce privilège. Le premier fut Philippe le Bel, dont l’effigie équestre orna longtemps un bas-côté de Notre-Dame. L’exemple ne fut suivi que par ses lointains successeurs les Bourbons, qui surent imposer à leurs sujets parisiens la présence en plein air de leur effigie sur les places royales. La Révolution abattit ces monuments, la Restauration les remplaça, Louis-Philippe et Napoléon III y ajoutèrent des personnages divers. Peu à peu disparaissait le privilège de la statufication réservé au souverain et se manifestait un sentiment qui sera l’une des clés du XIXe siècle, l’exaltation des gloires nationales : il fallait, par une effigie de pierre ou de bronze érigée à un emplacement symbolique, rendre hommage à un grand homme passé, en rappeler le souvenir, exalter son œuvre. Souci historique et pédagogique bien plus qu’esthétique : on s’en apercevra, hélas… Mais la période 1871-1914, que nous évoquons ici, fut l’âge d’or de la statuaire commémorative parisienne.
Par Georges Poisson
Ces créations obéissent-elles davantage à un mouvement des idées qu’à une initiative gouvernementale ?
On constate en effet un phénomène curieux : l’État, unique maître d’ouvrage en ce domaine sous l’Ancien Régime et qui y avait gardé ensuite part prépondérante, se désengage de la commémoration sculpturale. Entre 1871 et 1914, le pouvoir s’abstiendra de toute érection sur la voie publique, se contentant d’élever dans les jardins du Louvre, c’est-à-dire sur son propre territoire, des monuments d’artistes destinés à servir d’introduction au musée. Une seule exception, nous le verrons, pour le personnage de Jeanne d’Arc. L’État abandonnait ainsi un rôle, tenu durant trois siècles, au profit de la Ville. Et comme cette dernière se trouvait, à l’époque, plus à gauche que la majorité au pouvoir, elle allait en profiter pour commémorer des esprits avancés, tenus pour hommes de progrès.
Mais la liste de ces initiatives municipales est elle-même peu nombreuse et encore faut-il y distinguer les monuments véritablement voulus, d’exécution préparée par un concours (La République, Danton) de ceux résultant simplement de l’achat au Salon d’une statue ayant paru aux édiles digne d’être pérennisée, même si le personnage représenté était déjà commémoré, ce qui entraînera quelques doublons.
Au lendemain de la défaite de 1871, les premières idées de commémoration furent mises au service de l’exaltation de la résistance malheureuse et héroïque.
En réalité, à pointer les listes, on se rend compte que la grosse majorité des monuments élevés à Paris durant les quarante premières années de la Troisième République est d’origine privée.
Aujourd’hui totalement obsolète, ce processus était toujours le même : un comité se formait, quelquefois immédiatement après la mort du personnage, lançait une souscription, sollicitait des subventions et recueillait les fonds. On a du mal à imaginer qu’à l’époque les conseils municipaux de toutes les villes de France délibéraient chaque année sur l’octroi éventuel d’une participation à un monument à élever dans la capitale à des personnages aussi divers que Ledru-Rollin, Lamartine, Broca ou Alphonse de Neuville.
La somme une fois collectée, l’on passait commande à un sculpteur, de renom proportionnel à l’importance des fonds recueillis, et le Comité demandait à la Ville un emplacement et, éventuellement, de compléter l’addition… La municipalité acceptait généralement, parfois en maugréant et, le jour de l’inauguration, se voyait remettre le monument, d’où nécessité de l’entretenir désormais. Processus le plus souvent mené à bon terme, mais qui connut quelques échecs retentissants, comme l’affaire du Balzac…
Même certains des monuments nationalement les plus significatifs de l’époque, comme le fameux Gambetta, seront ainsi d’initiative privée, et c’est le comité qui décida ici de le placer au Carrousel, sans savoir si le terrain appartenait à l’État ou à la Ville. Bon prince, le premier se laissa faire (une partie du monument est aujourd’hui dans le square Édouard Vaillant).
Quelles valeurs étaient mises en avant ?
Au lendemain de la défaite de 1871, les premières idées de commémoration furent mises au service de l’exaltation de la résistance malheureuse et héroïque, et aussi de la recherche dans le passé d’exemples porteurs d’espoir.(…)
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