Brest ou le destin d’un grand port

« Napoléon Ier manifesta peu de sympathie pour les Brestois. Toutefois, sous son règne et sous ceux des souverains qui lui succédèrent, la ville s’agrandit et acquit peu à peu une importance considérable » écrit Desplantes dans Les cinq ports militaires de la France en 1891. Autant le Second Empire a été faste pour la ville de Brest, honorée du séjour du couple impérial en 1858, de celui de l’Impératrice cette fois seule en 1867 et de celui du Prince impérial en 1868, autant le Premier Empire reste une période difficile pour la cité du Ponant. De la Bretagne, Napoléon n’a découvert que Nantes, de retour d’Espagne en 1808. Pour autant, le grand port de guerre de la France n’a pas été ignoré par l’administration impériale qui l’a durablement marqué de son empreinte.
Par Bruno Calvès, historien et journaliste

La Révolution française trouve une population brestoise disposée à l’accueillir, à l’exception des officiers de Marine, tous nobles, qui émigrent en nombre. Au moment où Toulon, l’autre grand port militaire de la France, tombe aux mains des Anglais, le Comité de Salut public envoie André Jeanbon Saint-André et Pierre-Louis Prieur à Brest avec pour mission de remettre en ordre – républicain – le port et la flotte qui s’y trouve amassée sur les rives de la Penfeld et en rade. Leur séjour marquera les esprits par leur zèle très révolutionnaire et leur tentative de réorganiser une Marine gagnée par l’indiscipline et l’inactivité imposée par le blocus anglais.

Un préfet maritime efficace

L’arrivée du Consulat marque un tournant attendu par tous les Brestois. À Paris, il se manifeste par une stabilité ministérielle retrouvée. De novembre 1799 à octobre 1801, Pierre Forfait occupe les fonctions de ministre de la Marine et des Colonies avant de céder son poste à Denis Decrès, en place jusqu’en avril 1814 puis sous les Cent Jours. Le nouveau pouvoir ne tarde pas à faire preuve d’un souci de réorganisation et d’autorité. L’arrêté consulaire du 7 floréal an VIII (27 avril 1800) crée les préfectures maritimes. Le 1er thermidor suivant, Louis-Marie-Joseph Caffarelli, né en 1760 au Falga (Haute-Garonne), est nommé à Brest. Premier d’une liste aujourd’hui longue, il reste l’un des préfets maritimes les plus appréciés pour son engagement et son énergie. Frère du général mort à Saint-Jean d’Acre, frère du premier évêque concordataire de Saint-Brieuc, il est le seul correspondant du ministre, chargé de la direction des services de l’arsenal et de la «sûreté des ports, de la protection des côtes, de l’inspection de la rade, et des bâtiments qui y sont mouillés».

Caffarelli trouve Brest dans un complet état de dénuement. Les vivres manquent autant que les matériaux nécessaires à l’entretien des bateaux : « Du biscuit, des chanvres, des goudrons, des merrains, voilà ce qui nous manque le plus », écrit-il le 17 octobre 1800 au Premier consul. « Il ne manque à notre Marine que quelques occasions qui relèvent de l’enthousiasme et excitent l’émulation », lui déclare-t-il encore. Mais comment éveiller les consciences lorsque la flotte ne peut sortir d’une rade fermée par un étroit Goulet au-delà duquel, là où la Manche rencontre l’Atlantique, la croisière britannique rode afin de prévenir une éventuelle descente « tricolore » sur ses côtes? Ce rigoureux blocus opéré en permanence par une quinzaine de bâtiments empêche les escadres de sortir en mer, comme le rappelle l’« épitaphe » tournant en ridicule l’amiral Ganteaume : «Cigît l’amiral Ganteaume / Qui s’en fut de Brest à Bertheaume / Et poussé par un fort vent d’Ouest / S’en revint de Bertheaume à Brest ». Plus cruel, Napoléon dira à Sainte-Hélène : «Ganteaume n’était qu’un matelot, nul et sans moyens».

Pourtant, la division de Ganteaume parvient à appareiller en janvier 1801 et, profitant de la paix d’Amiens, l’escadre de Villaret-Joyeuse part pour Saint-Domingue avec le général Leclerc en décembre de la même année, suivie par celle de Bouvet qui transporte le général Richepanse en avril 1802. Mais, dès mai 1803, les Britanniques entament la chasse des bateaux français. Et, quand ces derniers parviennent à sortir, ils sont souvent capturés ou mis hors d’état de naviguer : entre 1800 et 1815, la France perd 43 vaisseaux, 82 frégates, 26 corvettes et 50 bricks. Le «décrochement» des deux Marines sera durable : il faudra attendre le début du XXIe siècle pour voir la Marine française dépasser sa rivale. […]

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