Dans son numéro du 25 mai 1915, Le Citoyen, journal républicain de Quimper mentionne l’arrivée à Brest, « parmi les blessés et malades » transférés depuis Dinan, d’« un jeune soldat de 15 ans et demi ». « Ce jeune garçon, nommé René Lebas, est orphelin et originaire de Brest » explique le rédacteur avant de poursuivre: « ayant suivi le 19e d’infanterie, il vécut de la vie des tranchées jusqu’au moment où, souffrant, il dut être évacué » même s’il « compte bien retourner, coûte que coûte ».
Par Yann Lagadec, Agrégé et docteur en histoire, Maître de conférences, université Rennes 2
L’histoire pourrait paraître hors du commun, extraordinaire au sens plein du terme. Sans être totalement banale, bien entendu, elle s’inscrit cependant dans le cadre d’un phénomène plus large, qui a vu des dizaines de ces adolescents n’ayant pas atteint 17 ans – l’âge légal pour s’engager – rejoindre le front et prendre les armes aux côtés de leurs aînés, plus particulièrement au cours de la première année de la guerre. La Bretagne, à l’instar des autres régions françaises, est elle aussi largement concernée par ce mouvement avec une double particularité cependant: d’une part son éloignement du front, qui rend l’engagement plus complexe que dans nombre de départements plus proches de la ligne de feu, plus « militarisés » aussi ; d’autre part sa dimension maritime, qui n’est pas sans conséquences sur la place prise par les adolescents dans le conflit (voir l’encadré sur les mousses).
Au service des blessés
Dans une région de l’arrière comme la Bretagne, le premier contact avec la guerre se fait par l’intermédiaire des blessés qui, à compter de la mi-août 1914, convergent, au gré des opérations, vers les hôpitaux qui se créent par dizaines dans les villes de garnison tout d’abord, dans les stations balnéaires dont les hôtels ont été largement désertés ensuite, dans les communes de moindre importance situées le long des voies ferrées enfin. Aux côtés d’un personnel médical et des « dames » de la bonne société locale s’engageant dans l’aide aux soldats évacués du front, l’on trouve, très tôt, des adolescents qui voient là le moyen de participer eux aussi au conflit, fut-ce « par procuration ».
Le cas du jeune René Patay est sans doute pour une part hors du commun. Fils d’un médecin rennais lui-même mobilisé dans une ambulance du 10e corps d’armée, il rejoint dès le 4 août l’équipe de brancardiers des Hospitaliers sauveteurs bretons que présidait jusqu’alors son père. Dans des mémoires restés inédits, il a décrit le travail pénible auquel pouvait alors se trouver confronté un garçon de 16 ans dans l’infirmerie installée à la gare, « une vaste salle tendue de serpillière », avec, au-dessus d’une « petite salle de pansement », un dortoir : les jeunes brancardiers sont en effet « de service jour et nuit, selon la fréquence et les heures d’arrivée des trains sanitaires ». Le rôle des jeunes gens consiste « à débarquer les morts et les blessés qui ne peuvent, sans danger, aller plus loin » se souvient celui qui, après-guerre, deviendra médecin puis maire de Rennes. Il poursuit : « Beaucoup d’entre eux sont sur des brancards accrochés à des tringles dans des wagons à bestiaux. Comme je suis le plus souple et le plus mince, je dois ramper sous les brancards, mettant les mains dans le sang répandu pour les décrocher des crochets du fond. D’autres blessés sont allongés sur des banquettes. Il faut alors les glisser sur un brancard avant de les passer par la fenêtre du compartiment. Lorsqu’il s’agit de fractures du fémur avec plaie ouverte remplie d’asticots, c’est un travail vraiment pénible pour tous ». La morgue, installée « dans un vieux wagon à bestiaux », est « hélas souvent pleine » précise René Patay que ce premier contact avec la guerre marque profondément. Dès 1915 pourtant, une fois atteints les 17 ans exigés par la loi, il se porte volontaire et s’engage dans l’artillerie, avant de rejoindre l’aviation en 1917.
Le jeune Rennais n’est pas le seul à travailler ainsi auprès des blessés. À Morlaix, une bonne partie de la toute récente troupe des Éclaireurs de France oeuvre à l’hôpital temporaire n° 40. […]
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