La crue de 1910: Paris submergée

Janvier 1910. En l’espace de quelques jours, la Seine submerge Paris. Les cotes historiques sont dépassées et la ville bientôt paralysée. Rien ne semble pouvoir arrêter la montée des eaux en dépit du préfet Lépine qui, par tous les moyens, tente d’endiguer la catastrophe.
Par Philippe-Enrico Attal, journaliste

En ce début du XXe siècle, tout semble sourire à Paris. La ville est belle, moderne et prospère depuis sa rénovation en profondeur entreprise sous le Second Empire. De longues artères la traversent désormais de part en part sur lesquelles les immeubles vétustes ont laissé la place à de belles bâtisses en pierre de taille. Sous terre, un vaste réseau d’égouts a été construit, de larges galeries souterraines qu’on vient visiter pour en admirer la modernité. Du côté des transports, la ville a entrepris la construction de ce métro dont elle rêvait depuis si longtemps. En 1910, six lignes sont déjà en service et le réseau ne cesse de s’étendre. Paris est en chantier pour la bonne cause et, aux quatre coins de la ville, on éventre les avenues pour parachever l’oeuvre du baron Haussmann.

L’Exposition universelle de 1900 a été l’occasion de montrer que Paris est en pointe dans tous les domaines : industrie, technologie, art, spectacle… La France est un pays prospère et sa capitale est à son image. Comme pour les éditions précédentes, la manifestation s’est tenue aux alentours du Champ de Mars et des Invalides, de part et d’autre de la Seine. Intimement lié au rayonnement de la ville, le fleuve a une fois de plus joué un rôle primordial dans l’événement. Dans l’histoire de Paris pourtant, la Seine n’a pas toujours été bonne fille. Souvent, elle a montré des signes de mécontentement, débordant largement en dehors de ses rives habituelles pour retrouver un lit qui fut un jour le sien. Il faut dire que l’expansion de la ville s’est souvent faite à ses dépens. Progressivement, on a cherché à la canaliser, lui assigner une place attitrée de laquelle il lui est interdit de sortir. Au fil du temps, on a empiété sur son territoire, cherché à réduire son emprise sans tenir compte de son assise naturelle. Ainsi, on a détourné son cours en rattachant l’île Louviers à la rive droite par le nouveau boulevard Morland ; cette extension du quartier de l’Arsenal réduit le lit du fleuve et modifie son débit. Pire encore, ce bras qui prenait naissance à Bastille pour finir place de l’Alma (le long de nos actuels grands boulevards), peu à peu transformé en égout, sera définitivement comblé avant de devenir le lieu à la mode du Second Empire. En banlieue aussi, le fleuve est contraint, sommé de rester gentiment dans son lit.

Une ville vulnérable

La Seine pourtant n’en fait qu’à sa tête. Régulièrement, elle déborde avec des conséquences plus ou moins graves. Ces crues sont même soigneusement répertoriées. On en relate les effets et on tente déjà d’en limiter les conséquences. En prenant un peu de recul, on constate même une périodicité de nature à susciter quelques inquiétudes. Les dernières d’importance ainsi ont eu lieu en 1658, 1740 et 1876. Une fréquence à prendre en considération. Consciente du danger, la ville de cette fin XIXe prend des mesures pour tenter de contenir ces débordements. La référence retenue est la crue de 1876, la dernière significative dans la capitale. Pourtant, avec ses 7,40 m au pont Royal, elle est largement inférieure à celle de 1740 qui avait atteint les huit mètres. L’ingénieur Belgrand, en charge des travaux, se veut confiant. Un tel niveau ne peut plus être atteint à Paris en raison d’une élévation progressive de la ville et d’un meilleur débit du fleuve servi par des ponts plus larges. Pourtant, au fil du temps, le lit de la Seine a perdu entre 15 et 20 m de largeur sur chaque rive désormais aménagée. On s’en tiendra pourtant à ces 7,40 m pour calculer la hauteur des quais et mettre des parapets de protection. Paris se sent ainsi à l’abri d’une nouvelle catastrophe sans prendre conscience que les récents aménagements de la ville la rendent particulièrement vulnérable. […]

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