À l’été 1855, venant visiter la deuxième exposition universelle organisée à Paris, la reine Victoria débarque à Boulogne-sur-Mer, port militaire où, de 1802 à 1805, l’Empereur Napoléon 1er prépara l’invasion de l’Angleterre, avant de devoir se couvrir à l’Est et triompher à Austerlitz. Cinquante ans plus tard, le neveu de celui qui fut le pire ennemi de la couronne britannique nourrit d’autres ambitions. Il veut donner à ce voyage une portée hautement symbolique et ouvrir une ère diplomatique nouvelle que la Monarchie de Juillet avait à peine esquissée. En effet, rompant avec plusieurs siècles de défiance et une succession de guerres, Napoléon III souhaite désormais faire de la Grande-Bretagne l’alliée privilégiée de la France face à la puissance menaçante de la Prusse sur le continent européen.
Texte Frédéric Médard, docteur en Histoire
En ce samedi 18 août 1855, le soleil brille sur Boulogne. Une effervescence inhabituelle règne dans cette ville d’à peine plus d’une trentaine de milliers d’âmes. En fin de matinée, le paquebot Folkestone déverse sur le quai un flot de citoyens britanniques bien plus important qu’à l’habitude. Un temps la fumée de ce vapeur a été prise pour celle du HMY Victoria and Albert II. Mais ce n’est qu’à midi et demi que le yacht de 110 mètres se présente à l’entrée du port. À la tête de 40 000 soldats rendant les honneurs, et entouré des officiels, l’Empereur Napoléon III en costume de lieutenant-général accueille la reine Victoria Ire, reine d’Angleterre et d’Irlande, et sa famille.
Sous les acclamations, le cortège s’ébranle en direction du très proche « embarcadère » des chemins de fer de Capécure, tout juste achevé. L’Empereur et ses invités y embarquent dans le train spécial qui, par Noyelles, Abbeville et Amiens, file jusqu’à Paris. À sept heures passées, il pénètre sous la grande marquise de fer et de verre de l’embarcadère de « Strasbourg » qui a été préféré à celui du «Nord», jugé trop exigu en pareille occasion.
Tandis que vingt et un coups de canons sont tirés, l’imposante délégation composée des suites des deux souverains s’engage sur le boulevard de Strasbourg, précédée de gardes municipaux de Paris et deux pelotons de guides de la Garde de l’Empereur. Le boulevard du Centre étant en chantier, elle tourne à droite, emprunte les grands boulevards jusqu’à l’église de la Madeleine, puis passant par la rue Royale, remonte les Champs-Élysées, l’avenue de l’Impératrice, traverse le bois de Boulogne et atteint Saint-Cloud. Ce long parcours répond à un double objectif, politique et diplomatique : il s’agit de faire admirer les premiers résultats du programme de grands travaux destinés à métamorphoser la capitale de l’Empire, mais également de témoigner de la sympathie que suscite la venue de la reine d’Angleterre en France et, par la même occasion, attester de l’attachement dont bénéficie Napoléon III au coeur de ses sujets.
La démonstration du régime est dans ce domaine une parfaite réussite. Dès le milieu de la matinée, la foule se presse déjà sur les axes de la capitale où les souverains doivent passer. D’heure en heure les badauds sont plus nombreux, sur les trottoirs, aux balcons et aux fenêtres bien sûr, mais aussi perchés en grappes dans les arbres et jusque sur les toits des immeubles, des kiosques et même des vespasiennes. Ce sont quelque 800 000 spectateurs qui bordent l’itinéraire. […]
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