Le visiteur attentif de la galerie des Glaces découvrira avec étonnement une composition allégorique sobrement intitulée «Réparation de l’attentat des Corses, 1664». Loin d’être l’évocation prémonitoire d’un quelconque fait divers contemporain, l’affaire que vient célébrer cette composition s’inscrit résolument dans son temps : le « siècle de Louis XIV». Or, c’est justement parce que cette affaire demeure indissociable du contexte dans le cadre d’un ordre social et politique défini qu’elle ne sera intelligible au lecteur qu’à la condition qu’il accepte de considérer les faits à la lumière des valeurs, des principes, des comportements et des sensibilités d’alors. Impossible en effet de comprendre le sens, la portée et l’engrenage de ces événements sans accepter au préalable l’idée d’un changement de point de vue; il est nécessaire d’adopter les références et les codes de ce monde désormais si lointain.
Par Gaël Nofri, Historien.
Cet épisode mit en présence des puissances considérables à un instant crucial de notre histoire nationale et européenne, aboutissant à des tensions diplomatiques extrêmes. Ce n’est donc pas s’attarder sur une anecdote que de relater cette « affaire des gardes corses » mais plutôt porter témoignage d’un moment d’histoire, un de ces épisodes dont la compréhension permet de mettre en lumière une époque et ses réalités spécifiques.
20 août 1662 : une rixe devenue affaire d’État
Au XVIIe siècle, Rome n’était à l’échelle de l’Occident qu’une ville d’importance moyenne quant à sa démographie, à peine quelques dizaines de milliers d’habitants. Cependant, elle se trouvait être le cadre d’une intense activité, tant économique que politique et artistique, dont le centre de gravité était le successeur de saint Pierre. Chef de l’Église catholique et prince italien, le pape était au coeur d’un vaste réseau clérical, administratif et diplomatique dont les protagonistes et leur entourage peuplaient et animaient la Ville éternelle. Parmi ceux-ci, se trouvaient notamment tous les ambassadeurs et plénipotentiaires des puissances étrangères accompagnés de leur domesticité. On comptait encore différentes troupes composant la garde du pontife. Si la plus connue était incontestablement la garde suisse, laquelle officiait depuis 1505, il existait aussi d’autres corps, parmi lesquels la garde corse.
Il faut dire que, terre d’Église depuis le VIIIe siècle, la Corse, dont les populations avaient pris très tôt l’habitude de fuir la misère de leur terre en se faisant mercenaires au service des différentes puissances continentales, avait toujours fourni des troupes destinées à la protection des papes. C’est fort de cette tradition, qui remonterait au XIVe siècle, que le pape Clément VIII, menacé par la puissante famille des Farnèse, avait reconnu officiellement en 1604 l’existence d’une unité distincte au sein de la garde pontificale à travers cette garde corse.
Cette atmosphère romaine toute particulière, dans laquelle les rivalités se trouvaient exacerbées par la promiscuité des différentes délégations et nationalités, contribuait à multiplier inévitablement les causes de tensions, de vexations et, par là même, les risques de conflit.
C’est dans ce contexte qu’éclata, le 20 août 1662 vers trois heures, une querelle entre un domestique français au service de Christine de Suède et un Corse de la garde pontificale. […]
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