Est-il possible de trouver héros de bande dessinée plus parisiens que les Pieds Nickelés ? Certes leur créateur, Louis Forton, était né à Sées dans l’Orne, le 14 mars 1879, fils d’un marchand de chevaux mais, après une carrière avortée de jockey (il était trop corpulent), il avait choisi de monter à Paris pour devenir dessinateur pour la presse de l’époque. À dire vrai, dans la capitale, il fréquente moins les salles de rédaction que les champs de course et les bistrots. Il se familiarise ainsi avec le langage imagé des titis parisiens dont les Pieds Nickelés reprendront les expressions familières. Par exemple, d’une femme laide, Croquignol dira : « Elle a une trompette à faire loucher les yeux d’un quart de gruyère. » Ce qui fera interdire la lecture des exploits des Pieds Nickelés dans les familles bien élevées…
Par Jean Tulard, historien
En 1886, Clément Duval dévalise et incendie l’hôtel particulier des dames Herbelin au 31 rue de Monceau. Puis c’est au tour de Marins Jacob, un Marseillais, de terroriser les riches entre 1900 et 1903 par d’audacieux cambriolages. Comme les Pieds Nickelés par la suite, Jacob ne manque pas d’humour : pénétrant dans un appartement, il découvre sur une console une pile impressionnante de sommations d’huissiers ; le propriétaire est criblé de dettes. Du coup, Jacob épargne ce qui reste de sa fortune. Dans un autre cambriolage, cette fois chez un marchand d’art, il dédaigne un Rubens et un Titien, expliquant dans un mot accroché aux tableaux pourquoi il pense qu’ils sont faux et ne valent pas la peine d’être dérobés.
L’époque de Bonnot et de Casque d’or
Conséquence d’une répression accrue, le mouvement anarchiste se fait plus violent. Après Ravachol et ses bombes, la bande à Bonnot prend le relais et terrorise la capitale en 1905. L’originalité de Bonnot : utiliser l’automobile pour mener à bien ses forfaits. Les Pieds Nickelés sauront s’en souvenir. Bonnot fait la couverture des journaux illustrés avant de finir sous les balles de la police à Choisy-le-Roi, en 1911, lors du siège de la maison où il s’était réfugié. C’est l’époque des apaches, petits truands qui hantent les troquets des barrières de Paris et les guinguettes de la banlieue. Casque d’or est leur égérie. La femme est en revanche absente de l’univers des Pieds Nickelés, sauf une brave noire surnommée «Blanche de Pastille», plaisanterie qui enverrait aujourd’hui Forton devant les tribunaux.
L’apparition des Pieds Nickelés est inséparable de ce contexte parisien. Ce sont des aigrefins en marge de la société mais qui limitent leurs escroqueries au monde des gogos (le mot apparaît sous la Monarchie de Juillet) dont la stupidité justifie leur statut de victime. Ne confondons surtout pas les Pieds Nickelés avec Robin des Bois qui vole les riches pour distribuer son butin aux pauvres. Leur morale est celle, cynique, du Voleur de Darien, paru en 1897. Pas de sang. Le ton reste empreint de légèreté et de comédie, comme chez Arsène Lupin dont, il est vrai, ils n’ont pas les manières bien que contemporains. Lupin est un gentleman-cambrioleur, les Pieds Nickelés des hommes du peuple dont ils ont la gouaille et la roublardise. Lupin est un esthète, les Pieds Nickelés limitent leurs plaisirs aux cigares et aux bons vins. Ils apparaissent dans le numéro 9 de L’Épatant du 4 juin 1908, en pleine crise anarchiste. […]
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