Mourir au combat sous l’Empire

La mémoire collective retient des combats napoléoniens des masses d’hommes se faisant front, prêtes à marcher pour enfoncer la ligne adverse, en colonne ou en oblique, et emporter la décision au prix de nombreuses pertes. Des travaux récents avancent les chiffres suivants pour les seules armées françaises: avec 2000000 de conscrits de 1804 à 1815, le nombre de morts oscille entre 400 000 et 500 000. À ces chiffres doivent être ajoutés ceux des blessés décédés des suites de leurs blessures, soit 200000 à 300000 morts. L’estimation des pertes dans les armées de Napoléon est donc de 600 000 à 800 000 hommes (1). Mais dans quelles conditions la mort est-elle donnée et quelles causes peuvent être avancées face à un bilan si lourd ?
Par Michel Roucaud, Service historique de la Défense.

L’appréhension de la mort
Dans les «rapports du lendemain», pièce que tout commandant d’unité rédige à l’attention de sa hiérarchie au lendemain d’une bataille, les circonstances se précisent parfois. Dans le rapport du maréchal Davout au lendemain de la bataille d’Austerlitz, il est écrit : «Dans cet instant surtout [instant où l’ennemi se présenta en avant de Telniz], la division de dragons eut beaucoup à souffrir de la mousqueterie et de l’artillerie.»(2) Cependant, la mort est souvent évoquée plus qu’analysée. Dans ce même rapport, il est possible de lire qu’«après la vigoureuse attaque de Telniz, le 108e régiment, malgré les pertes considérables qu’il y avait faites, ne continua pas moins à combattre […]» et «les champs de bataille étaient partout jonchés de morts et de blessés». De plus, il est mentionné dans cette pièce que le 108e régiment, entouré par l’ennemi, eût succombé si le chef de bataillon Lemaire ne fût parvenu à se débarrasser de l’ennemi «après l’action la plus sanglante». Cette absence d’analyse se comprend puisque le but de ces documents est de présenter l’action générale de l’unité et de son commandant et non de traiter de la réalité des combats.

Le registre matricule, document de base de l’administration des corps et héritier des rôles de signal et des contrôles de troupes de l’Ancien Régime (3), aborde parfois dans ses pages la mortalité. Cette pièce répond à plusieurs nécessités pour l’administration de l’armée: connaître l’état des effectifs réels et lutter contre la désertion dans un premier temps, permettre l’application des droits des soldats et de leurs familles dans un second temps. Les registres donnent des informations, tant civiles que militaires, sur chaque homme (soldats, sous-officiers et officier) composant le régiment. Les motifs de départ du corps y sont inscrits. Cependant, la mort au combat n’est pas détaillée. Par exemple, il est inscrit comme motif de départ pour le sergent Nicolas Roux, né à Lyon en 1765 et incorporé dans le 3e régiment d’infanterie de ligne, formé en 1803, la mention «mort à la bataille de Friedland le 14 juin 1807» (4). L’étude de la mortalité du 24e régiment de ligne à travers les registres matricules de 1803 (5) souligne, elle aussi, que la mort au combat n’est jamais circonstanciée. Cependant, elle donne des éléments statistiques permettant d’évaluer cette part de mortalité au sein de ce régiment sous l’Empire: pour les hommes de troupe du 24e, la part de ceux morts au combat ou des suites de blessures reçues lors des combats représente 44,3 %, 57 % pour les sous-officiers et 92,8 % pour les officiers. Ainsi, pour les cadres de 1803 décédés, la première cause de mortalité est le combat, contrairement à la troupe, qui, elle, est davantage victime des maladies. Par ailleurs, l’étude des dates de décès au combat de la troupe de 1803 du 24e montre deux pics de mortalité. Le premier en 1807 avec 113 morts et le deuxième en 1809 avec 68 morts. Ces deux pics s’expliquent par la participation du corps aux batailles d’Eylau, de Friedland et de Talavera. […]

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