À la fin de l’Ancien Régime jusqu’au début du XIXe siècle, la façon de manger dans le monde rural est figée par les obligations de la vie économique et sociale. Dans le Bugey, terre natale du gastronome Brillat-Savarin, le nombre de repas est de quatre. La bouillie, arrosée de lait ou grillée, constitue la base des deux repas que des légumineuses peuvent agrémenter. Le bugiste consomme aussi du pain de froment et du fromage de vache sec, appelé ramequin et mangé fondu, ou fermenté. Comme en Bresse voisine, terre de cocagne, seuls les hommes mangent assis, les femmes se tiennent debout afin d’assurer le service. La fin du repas dans le Bas-Bugey peut être agrémentée, comme en Savoie, de café et de marc servis dans une grolle. Si au début de la Révolution, le vin n’est servi que les jours de fête, en 1800 les hommes des pays d’Anglefort, Culoz, Châtillon-de-Michaille, Groslée, Saint-Benoît, Seyssel ou Virieu-le-Grand, ont pris l’habitude de se rendre à l’auberge le samedi soir pour boire et manger des abats. Cette habitude prise durant la Révolution amène le préfet Bossi à constater que «depuis quelques temps l’espèce paraît un peu dégénérée, principalement dans les pays de vignobles où il n’est pas rare de trouver des hommes contrefaits et pour ainsi dire rabougris . Dans les parties montagneuses du Bugey, comme à Dortan ou Echallon, le lait remplace le vin et l’eau.
Par Jérôme Croyet. Docteur en histoire, régisseur des collections au musée de l’Empéri.
Le repas bourgeois à la veille de la Révolution
Le mode alimentaire des Français évolue, notamment chez les nobles où les repas deviennent de plus en plus sophistiqués. Les bonnes manières à table sont connues et respectées. Les couverts deviennent individuels, le couteau et la fourchette à trois dents sont posés à droite de l’assiette, la serviette et les verres placés sur la table nappée. Sur table, tous les mets sont disposés en respectant une parfaite symétrie: on nomme ce type d’organisation « le service à la française ». C’est grâce à Versailles que celui-ci deviendra un standard du savoir-recevoir à travers toute l’Europe. À la cour, les valets ne participent pas au service à table, ils se contentent de changer les assiettes sales. Seuls les gentilshommes ont le droit de servir la table royale. Tous les convives n’ont pas accès aux mêmes mets et c’est la préséance qui permet de déterminer qui a droit à quoi. C’est le travail des maîtres d’hôtel d’organiser ce service à la française. Dans les hôtels particuliers de la noblesse, les premières salles à manger apparaissent sur les plans de construction, situées à proximité des chambres.
La Révolution de la table
La Révolution marque un tournant important pour la gastronomie française. En ruinant les nobles, elle oblige beaucoup de grands cuisiniers à se reconvertir dans la restauration publique. Les grands restaurants parisiens de l’époque sont Les Frères Provençaux, Le Rocher de Cancale, Le Café anglais, La Taverne de Londres. C’est ainsi qu’émerge l’un des plus grands cuisiniers-pâtissiers de tous les temps : Antonin Carême. Ainsi, les restaurants, tels que nous les connaissons, qui apparaissent en 1766 à l’initiative de Roze de Chantoizeau, se développent. On y mange à son heure en choisissant ses plats sur une carte, à la différence des auberges traditionnelles. Ainsi, à Paris et dans certaines villes, chacun peut accéder à la gastronomie. À Bourg-en-Bresse, on peut ainsi manger à l’Auberge de l’Ecu ou Lion d’Or où le maître des lieux n’est pas forcément un homme mais parfois une femme. […]
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