« Auteur applaudi à vingt-quatre ans, décoré à trente, élu à l’Académie à trente-huit ; bon citoyen, bon époux, bon poète, il acheva une vie de garde national de la morale bourgeoise ; c’est notre Boileau. Il se retire du théâtre en plein succès de peur de la hantise d’un échec qui pourrait assombrir ses vieux jours » tels sont les commentaires d’un contemporain trouvés dans un recueil de photographies anciennes. Ils sont le reflet de l’immense popularité d’Émile Augier durant toute sa vie.
Par Jean-Baptiste Thomas, historien
Même s’il s’éteint à Croissy-sur-Seine le 26 octobre 1889, ses obsèques se font à Paris en grande pompe avec les honneurs militaires. François Coppée au nom de la société des Auteurs va faire l’éloge du défunt ; parodiant Augier lui-même au cours d’un banquet offert à Victor Hugo, Coppée lui renvoie le compliment « à notre père ». Il le compare à Molière, qui fut inhumé dans un coin perdu en soulignant que les temps sont devenus meilleurs pour les auteurs dramatiques… Coppée rappelle que toute son oeuvre a été marquée par une attaque persistante et généreuse contre l’unique et monstrueux pouvoir de l’argent : « Augier, c’est la probité de l’art. » Il est inhumé dans la sépulture de ses parents et ancêtres à La Celle-Saint-Cloud qui domine la boucle de la Seine et le village de Croissy où il a écrit toute son oeuvre. De ce succès littéraire qui va imprégner le Second Empire, de ce rôle de moralisateur de cette société souvent spéculatrice de l’époque, du conseiller écouté de Napoléon III, que reste-t-il après ces décennies ? Il n’intéresse aucun biographe et ses pièces ont quitté le répertoire des théâtres : même ses statues de bronze ont disparu à Valence et à Paris, fondues par l’occupant allemand.
Guillaume Émile Victor Augier est né à Valence le 18 septembre 1820 d’un père avocat. Sa mère Anne Honorine est la fille de Charles Pigault de l’Épinay dit Pigaut-Lebrun : c’est lui qui formera l’esprit littéraire d’Émile (quel personnage : gendarme de Marie- Antoinette, comédien ambulant puis auteur dramatique…). En 1828, la famille s’installe à Paris ; Émile étudie au lycée Henri IV où il rivalise avec le duc d’Aumale dont il deviendra bibliothécaire. À vingt ans, licencié en droit, il devient clerc de notaire et écrit sa première pièce en vers, La cigüe, qui sera jouée à l’Odéon avec succès pendant trois mois. Il décide d’habiter près de la Seine à Croissy dans une maison qu’il conçoit comme une pièce de théâtre à trois niveaux, le troisième étant réservé aux amis qui sont nombreux : Mérimée, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Sainte- Beuve, son compagnon et confident Edmond Got et son voisin Coppée qui habite Le Vésinet. Mais le plus fidèle, sa grande amitié littéraire restera à jamais Eugène Labiche, dont il écrira la préface de son Théâtre complet et dont lui-même est l’instigateur : dix volumes de cinquante-sept pièces ! L’Académie française avancera solennellement un fauteuil au rire et à la bonne humeur… Labiche et Augier, c’est une amitié originale entre deux êtres si différents, un duel aux raisons jamais élucidées qui fera place à un échange épistolaire féroce et se terminera par une embrassade. […]
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