En dépit de graves menaces, le château de Versailles avait traversé la Révolution sans grands dommages et, par la suite, l’Empire avait assuré sa pérénité par d’utiles travaux de sauvegarde. En 1814, prévoyant son retour à Versailles, Louis XVIII avait lancé une importante campagne de rénovation du château. Tant et si bien que, vers 1820, les salles de prestige avaient retrouvé leur éclat originel, et les pièces privées une impeccable fraîcheur. Ce fut pourtant en vain puisque Louis XVIII ne put jamais s’y réinstaller, pas plus que son successeur Charles X. Cela au grand désappointement des Versaillais qui avaient escompté leur retour pour ranimer l’économie de la ville, ruinée par le départ de Louis XVI et de la cour en 1789. À partir de 1830, ils reportèrent leurs espérances sur le nouveau roi Louis-Philippe.
Par Jean-Claude Le Guillou, Historien du château
Les Versaillais savaient que le « Roi-citoyen » ne résiderait jamais au château, mais du moins espéraient-ils le voir s’y intéresser « pour y donner des fêtes extraordinaires, ou pour y loger des souverains étrangers. » Et surtout, ils souhaitaient le convaincre de s’engager dans un ambitieux projet visant à transformer une partie de l’ancien palais en un grand établissement culturel qui ferait de Versailles « une ville de science et des beaux-arts, qui attirerait de plus en plus les étrangers et les étudiants ».
Prémices du musée de Versailles
Cette ambition, soutenue par le préfet de Seine-et-Oise, avait été présentée au roi en 1831 sous la forme de deux mémoires détaillés justifiant la création de cet établissement où seraient organisés à la fois un musée d’histoire et des arts et métiers, y compris l’agriculture, des salles de réunion pour des sociétés d’érudits, et une bibliothèque de quarante-cinq mille volumes. À vrai dire, l’idée n’était pas entièrement nouvelle, puisque des institutions quasi-analogues avaient déjà été créées dans le château au cours des années 1790; mais celles- là n’avaient pas pu se maintenir. L’expérience pouvait-elle être tentée à nouveau ? Il était permis d’en douter, à moins de l’orienter vers un thème spécifique et bien en adéquation avec son temps. C’était l’avis de l’historien François Guizot qui, ministre de l’Intérieur en 1830, avait souhaité la création, à Versailles, d’un musée consacré à la mémoire collective de la nation. Son idée, soumise à la chambre des députés en 1831, y avait recueilli quelques suffrages, en dépit d’une opposition qui aurait préféré la réouverture de l’asile des invalides militaires que le Premier consul Bonaparte avait jadis installé dans l’ancien appartement de Louis XV…
Pour sa part, Louis-Philippe était dubitatif. Peu enclin à étaler le faste royal à Versailles, même occasionnellement, et très réservé quant aux options proposées, il se savait néanmoins tenu d’agir. C’est pourquoi, sans attendre un hypothétique projet satisfaisant à ses yeux, il avait jugé nécessaire et urgent de faire voter, le 2 mars 1832, une loi par laquelle le château de Versailles serait versé dans les appartenances de la couronne, c’est-à-dire dans le domaine réservé du roi, qui pourrait en user librement et l’entretenir avec les fonds de sa liste civile.
Une année s’écoula sans que rien ne se passe. Puis finalement, faute de mieux, le roi se rallia à une variante épurée du projet soutenu par le préfet de Seine-et-Oise : le château serait aménagé pour « recevoir une suite raisonnée de tableaux, de statues, et de livres, de manière à obtenir un musée d’art, une bibliothèque et plusieurs collections ». Il n’était plus question de sociétés d’érudits, mais on maintenait l’idée d’un appartement réservé aux souverains étrangers de passage en France, voire, occasionnellement, aux princes de la famille royale. […]
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