Versailles et les Américains

L’histoire des relations entre la France et les États-Unis a emprunté, dès ses débuts, l’allée qui conduit au château de Versailles. Des deux traités qui ont mis fin à la guerre d’Indépendance, opposant les insurgés des Treize Colonies, seuls d’abord, soutenus ensuite par les Français, au roi d’Angleterre George III, l’un a été signé à Versailles le 3 septembre 1783, entre les représentants du roi de France et ceux du roi d’Angleterre. L’autre a été ratifié à Paris, à l’hôtel d’York, aujourd’hui au 56, rue Jacob, par les Américains et les Anglais. Selon qu’on souhaitait mettre en avant la victoire de la France ou celle des États-Unis, on parlait de la paix de Versailles ou de celle de Paris… Au-delà de cette différence de perspective, une nouvelle nation était née, les États- Unis d’Amérique. À côté des relations diplomatiques que peuvent entretenir deux états, des liens étroits se sont tissés entre la France et les Américains et, plus particulièrement, les hauts faits de l’histoire s’incarnant volontiers dans des lieux, entre les Américains et Versailles. Cette relation où les sentiments occupent une place importante possède sa propre histoire qui a cheminé parallèlement à celle des deux états. Surtout, l’histoire de Versailles et des Américains précède celle de la France et des États-Unis.
Par Guillaume Picon, Historien

En mars 1778, Louis XVI avait reçu à Versailles une délégation américaine avec, à sa tête, Benjamin Franklin, accompagné de deux de ses compatriotes, Silas Deane et Arthur Lee. Arrivé en France à la fin de l’année 1776, Franklin y restera jusqu’en 1785.

Benjamin Franklin, le premier Américain à Versailles

Madame Campan, première femme de chambre de Marie-Antoinette, raconte l’arrivée du physicien américain à la cour de France : « Franklin avait paru à la cour avec un costume de cultivateur américain : ses cheveux plats sans poudre, son chapeau rond, son habit de drap brun contrastaient avec les habits pailletés, brodés, les coiffures poudrées et embaumantes des courtisans de Versailles. Cette nouveauté charma toutes les têtes vives des femmes françaises. On donna des fêtes élégantes au docteur Franklin qui réunissait la renommée d’un des plus habiles physiciens aux vertus patriotiques qui lui avaient fait embrasser le noble rôle d’apôtre de la liberté. J’ai assisté à l’une de ces fêtes, où la plus belle parmi trois cents femmes, fut désignée pour aller poser sur la blanche chevelure du philosophe américain une couronne de laurier, et deux baisers aux joues de ce vieillard.

Jusque dans le palais de Versailles, à l’exposition des porcelaines de Sèvres, on vendait, sous les yeux du roi, le médaillon de Franklin ayant pour légende : Eripuit coelo fulmen sceptrumque tyrannis. » Cette inscription, qui passe pour la devise de Franklin, peut se traduire par : « Il arracha au ciel sa foudre, aux tyrans leur sceptre ». La paternité en est attribuée à l’économiste Turgot, ministre des Finances entre 1774 et 1776. Benjamin Franklin était très populaire en France. Les Parisiens – il avait élu domicile à Passy, alors commune jouxtant la capitale – le surnommèrent affectueusement l’«Américain». À l’annonce de sa mort, survenue à Philadelphie en juin 1790, l’Assemblée constituante décréta trois jours de deuil national. Ainsi la France saluait-elle la mémoire d’un grand Américain.

Par la suite, les liens entre Versailles et les Américains se distendent. Comment aurait-il pu en aller autrement ? Dans la nuit du 5 au 6 octobre 1789, la famille royale avait quitté le château pour s’installer à Paris, au palais des Tuileries. Telle la princesse des contes, Versailles allait sombrer dans un profond sommeil dont Louis-Philippe et la monarchie de Juillet la sortiraient une trentaine d’années plus tard. Après cet élan que Napoléon III eut à coeur de maintenir, le réveil de Versailles aux Américains nécessita plus de temps. […]

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